Voltaire's folies

Publié le par Michel Debray

 

L'EMPEREUR: Nous, l'empereur de la Chine, nous sommes fait représenter les mille et une brochures que l'on débite journellement dans le renommé village de Paris pour l'instruction de l'univers. Nous avons remarqué, avec une satisfaction impériale, que l'on imprime plus de pensées, ou de façons de pensée ou d'expressions sans pensées, dans le dit village de Paris situé sur le petit ruisseau Seine et contenant environ cinq cent mille comiques ou gens voulant l'être, que l'on ne fabrique de porcelaines dans notre bourg de King Tzin sur le fleuve jaune, lequel bourg possède le double d'habitants, lesquels ne sont pas la moitié si comiques que ceux de Paris. Nous avons lu attentivement la brochure d'un dénommé Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, lequel Jean-Jacques a extrait un projet de paix perpétuelle du bonze saint Pierre, lequel saint Pierre l'avait extrait du creux de son cerveau... Nous avons été sensiblement affligés de voir que dans son projet le sieur Jean-Jacques avait oublié le reste de l'univers. Nous avons pensé que si le Grand Moghol attaquait le Grand Turc, que si les Russes pendant ce temps-là occupaient la Silésie, que si les Maures s'emparaient de l'Espagne, et que tous réunis finissaient par marcher sur la France... toutes ces petites combinaisons pourraient bien déranger la paix perpétuelle! Nous enjoindrons à tous les souverains du monde de n'avoir plus jamais aucune querelle, sous peine de la lecture d'un volume complet de Jean-Jacques Rousseau pour la première fois, et du ban de l'univers pour la seconde!

 

 

Donné à Pékin, le premier du mois de Hi-Han, l'an 18 milliards 984 millions 2007 de la fondation de notre monarchie!

            Entre Frère Rigolet

FRÈRE RIGOLET : Auguste Souverain des quinze provinces anciennes de la Chine et des quarante-deux provinces tartares, ma religion est la seule véritable, comme me l'a dit mon préfet le frère Bouvet, qui le tenait de sa nourrice. Les Chinois, les Japonais, les Coréens, les Tartares, les Indiens, les Persans, les Turcs, les Arabes, les Africains et les Américains seront tous damnés. On ne peut plaire à Dieu que dans une toute petite partie de l'Europe, et ma secte s'appelle la religion catholique, (Il tire une mallette une pancarte marquée « c4thollque.) ce qui veut dire universelle.

L'EMPEREUR: Fort bien, frère Rigolo…

FRÈRE RIGOLET : Rigolet!

L'EMPEREUR: Votre secte est confinée dans un tout petit coin de l'Europe et cependant vous l'appelez universelle? Apparemment que vous espérez de l'étendre à tout l'univers?

FRÈRE RIGOLET : Sire, Votre Majesté a mis le doigt dessus, c'est comme nous' l'entendons. Dès que nous sommes envoyés dans un pays par notre révé­rend frère général, au nom du PAPE. (Il tire de sa mallette et montre une petite pancarte marquée « PAPE ».) qui est vice-Dieu en terre, nous commençons par catéchiser tous les esprits qui ne sont point encore pervertis par l'usage dangereux de penser - car vous savez que tous les gens qui raisonnent sont la peste d'un État! Nous devenons alors assez puissants pour forcer le souverain à gagner la vie éternelle en se faisant sujet du « pape » !

L'EMPEREUR: On ne peut mieux, frère Rigolet, les souverains vous sont fort obligés! Mais dites-moi un peu où demeure votre pape?

FRÈRE RIGOLET : Sacrée Majesté impéliale, il demeure ... (Il tire de sa mallette une carte d'Italie.) au bout du monde, dans ce petit angle que vous voyez. Et c'est de là qu'il damne ou qu'il sauve à son gré tous les rois de la terre. Il est vice-Dieu en terre... vice-Chong-Ti, vice-Tien… Il doit gouverner la terre au nom de Dieu et notre frère général doit gouverner sous lui !

L'EMPEREUR: Mes compliments au vice-Dieu et au frère général .. FRÈRE RIGOLET : Merci !

L'EMPEREUR: ... Mais votre Dieu, quel est-il ? Donnez-moi un peu de ses nouvelles !

FRÈRE RIGOLET: Sacrée Majesté impériale, notre Dieu naquit dans une écurie, il y a quelque mille sept cent vingt-trois ans, entre un bœuf et un âne! ... Et trois rois, qui étaient apparemment de votre pays, conduits par une étoile nouvelle, vinrent au plus vite l'adorer dans sa mangeoire!

L'EMPEREUR: Vraiment, frère Rigalet, si j'avais été là, je n'aurais pas manqué de faire le quatrième!

            FRÈRE RIGOLET: Je le crois bien, Sire! Mais, si vous êtes curieux de faire un petit voyage, il ne tiendra qu'à vous de voir sa maman ! C'est une statue en bois- à Notre-Dame-de-Lorette - que certains de nos frères pensent avoir été faite par le Dieu son fils, qui était un très bon charpentier!

L'EMPEREUR: Un Dieu charpentier ! .. Un Dieu né d'une femme ! 

Vraiment, frère Rigalet, tout ce que vous me dites là est admirable!

FRÈRE RIGOLET: Oh ! Sire, elle n'était point femme... elle était fille! Il est bien vrai qu'elle était déjà mariée et qu'elle avait aussi deux fils, nommés Jacques le Mineur et Jacques le Majeur, mais elle n'en était pas moins pucelle.

L'EMPEREUR: Quoi! ... Elle était pucelle et elle avait des enfants ? ..

Rigolet, c'est admirable!

FRÈRE RIGOLET: Vraiment oui! Et c'est là le bon de l'affaire! Ce fut Dieu lui-même qui fit un enfant à cette fille!

L'EMPEREUR: Je ne vous suis plus du tout, frère Rigolet ! Vous me disiez tout à l'heure qu'elle était mère de Dieu... Dieu coucha donc avec sa mère pour naître ensuite d'elle?

FRÈRE RIGOLET: Vous y êtes, vous y êtes, Sacrée Majesté impériale! La grâce opère déjà, alléluia! Dieu se changea en pigeon pour faire un enfant à la femme d'un charpentier et cet enfant fut Dieu lui-même!

L'EMPEREUR: Mais voilà donc deux Dieux de compte fait! Un charpentier et un pigeon ?

FRÈRE RIGOLET : Sans doute, Sire, sans doute! ... Mais il y en a encore un troisième!

L'EMPEREUR: Un TROISIÈME!

FRÈRE RIGOLET : Oui, et qui est le papa de ces deux-là! Et que nous peignons toujours avec une barbe blanche! (Il retourne à sa mallette dont il va tirer des écriteaux marqués: «N° 1 LE PAPA », «  2 LE PiGEON », «N° 3 LE ChlARPENl1ER ».) C'est ce Dieu-là, « LE PAPA », qui ordonna au Pigeon, « LE PIGEON », de faire un enfant à la femme du Charpentier, « LE CHARPENTIER» ! Mais au fond ces trois Dieux n'en font qu'un! Le Père a engendré le Fils avant qu'il fût au monde... Le Fils a été ensuite engendré par le Pigeon... Et le Pigeon procède par aspiration, tantôt du Papa, tantôt du Charpentier. .. Or, vous voyez bien que le Pigeon qui procède, le Charpentier qui est né du Pigeon et le Père qui a engendré le Fils du Pigeon... ne peuvent être qu'un seul Dieu !

Et qu'un homme qui ne croirait pas cette histoire doit être brûlé dans ce monde-ci et dans l'autre !

Petit silence.

L'EMPEREUR: Voilà qui est clair comme le jour! (Il frappe dans ses mains: entrent un musulman et un juif portant des pancartes marquées « MUSULMAN » et « JUIF».)Je sais qu'il y a dans mon empire d'autres missionnaires appelés «musulmans » et «juifs »...

FRÈRE RIGOLET: Sire, ce sont tous des coquins et nos plus mortels ennemis!

Ils veulent tous nous couper l'herbe sous le pied ! ..

L'EMPEREUR: La tolérance m'a toujours paru le premier lien des hommes et le premier devoir des souverains.

L'erreur n'est point un crime; Dieu n'est point offensé qu'on l'adore d'une manière ridicule ; un père ne chasse point ceux de ses enfants qui le saluent en faisant mal la révérence : pourvu qu'il en soit aimé et res­pecté, il est satisfait.

Les tribunaux de mon empire ne vous reprochent point vos absurdi­tés; ils vous plaignent d'être infatués du plus détestable ramas de fables que la folie humaine ait jamais accumulé ...

Mais ce qu'ils ne vous pardonnent pas, c'est de venir du bout du monde pour nous ôter la paix: «Je suis tolérant et je vous chasse tous, parce que vous êtes intolérants! » Je vous chasse parce qu'étant divisés entre vous et vous détestant les uns les autres, vous êtes près d'infecter mon peuple du poison qui vous dévore.

Je ne vous plongerai pas dans les cachots comme vous y faites languir en Europe ceux qui ne sont pas de votre opinion ; je suis encore plus éloigné de vous faire condamner au supplice comme vous y envoyez en Europe ceux que vous nommez hérétiques.

Nous ne soutenons point ici nos idées par des bourreaux, nous ne dis­putons point avec de pareils arguments!

Partez, portez ailleurs vos folies atroces et puissiez-vous devenir sages! Allez, et soyez dans votre Europe le témoignage de ma justice et de ma clé­mence ! (Musique. Les trois religionnaires sortent piteusement.) Voilà ce que c'est que d'être infaillible!

Noir.

 

 

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Publié dans Metteux d'fu

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