AVIGNON OFF - 2010 - 2

Publié le par Michel Debray

   

Cigale

n° 7

Juillet/août 2010

Art/création/société

Huit pages de démocratie

culturelle

Parti communiste français

Qu’espérez-vous

que la gauche

attende de vous ?

Contact PCF Culture :

Marie-Pierre Boursier

mpboursier@pcf.fr

Coordination : Jean-Jacques Barey

avec Chrisophe Adriani

Artiste associée : Martine Loyau

avec Valérie Évrard, photographe

Impression : Iov 69200

 

Pierre Laurent

Tout juste élu Secrétaire National du PCF, j’ai été investi de la

mission d'amplifier la riposte à la droite et de donner un nouvel

élan au Front de gauche pour construire l'alternative. Le

sarkozysme foule au pied l'intérêt général. Inversant le mythe

de Robin des Bois, il vole les pauvres pour donner aux riches.

La contre-réforme des retraites en est l’illustration parfaite.

La même logique est à l'oeuvre pour la culture comme pour

l’école, la santé ou la recherche : servir le profit d'une minorité

contre tout ce qui participe de l'émancipation humaine. Nous appelons toutes les femmes

et les hommes de gauche, toutes les forces de gauche, l’ensemble du mouvement

social, culturel, citoyen à se mobiliser sans attendre 2012. Plus une réforme ne doit passer

sans que nous réagissions !

À partir de toutes ces mobilisations, de toutes ces résistances, nous engageons dès à présent

dans la France entière un processus de construction d'un

 

pacte d'union populaire

pour réussir le changement. Nous voulons mener un débat inédit avec le peuple français

sur un projet de gauche pour sortir de la crise. Avec nos partenaires du Front de gauche,

nous allons créer à cette fin des milliers d'espaces pour élaborer avec l'ensemble des forces

vives de notre pays les grandes réformes qu'une politique, des institutions, une majorité

de changement devraient mettre en oeuvre dans tous les domaines.

L'art et la culture sont au coeur de tout projet d'émancipation humaine et doivent avoir

toute leur place dans ce processus. Nous refusons la “marchandisation” de la culture,

entièrement dévouée aux industries culturelles qui exploitent quelques “produits” sélectionnés

pour leur rentabilité, au détriment de la diversité culturelle, de l'innovation, de la

recherche et des actions indispensables au partage des oeuvres par toutes et tous. Nous

voulons construire un projet partagé en faveur des arts et de la culture avec ses actrices et

ses acteurs, avec l'ensemble des citoyens, et définir une approche de l'intervention publique

nécessaire au déploiement de ce projet. Pour contribuer à relever ce défi, nous venons

de proposer à toutes les forces de gauche d'intervenir dans le cadre du festival d’Avignon lors

d'un débat sur le thème :

 

la gauche face à l’enjeu culturel.

Je m'y rendrai pour représenter

le PCF, porter nos propositions et en débattre avec les citoyen-ne-s et les professionnels de

l'art et de la culture.

Pierre Laurent est secrétaire national

du Parti communiste français

depuis le 20 juin 2010.

Roland Gori

Qu’est-ce que c’est, finalement, que l’art, sous une forme ou sous

une autre ? Sous forme narrative, plastique, cinématographique…,

l’art, qu’est-ce que c’est ?

C’est le moyen qu’a trouvé un homme et une femme pour raconter à

un autre homme son rêve, par lequel il révèle et constitue à la fois sa

réalité intérieure, sa réalité psychique.

Finalement, l’art est un ensemble de choses apparemment inutiles,

pour pouvoir penser.

C’est une folie — au sens fort du terme, presque psychopathologique —

de notre société actuelle que de considérer que ce qui ne rapporte

pas, ne compte pas, est inutile, et n’a donc par conséquent aucune

conséquence sur les autres activités. Pour faire très vite, si vous supprimez

l’activité mythique, si vous supprimez l’activité rituelle, pour toute

une partie de nos civilisations — il n’y a pas que la civilisation néolibérale

—, vous supprimez l’agriculture, vous supprimez la science, vous

supprimez en quelque sorte les activités humaines.

C’est une particularité, pourrait-on dire, de la modernité, que d’avoir

dissocié la pensée mythique de la pensée calculatrice, de la pensée

technique ou de la pensée économique. Je crois qu’on n’a pas pris la

mesure de ce en quoi, justement, ces pensées soi-disant de l’inutile

sont essentielles pour les activités les plus utilitaires. Rien ne nous

dit en effet que si un écolier a plaisir à raconter un roman qu’il a

fabriqué, qu’il a inventé dans une narration, dans une rédaction, à

son petit copain ou à sa petite copine, rien ne dit que ça n’a pas de

conséquences dans l’apprentissage même du calcul, des mathématiques

ou de la chimie.

Si vous voulez, l’expérience du psychanalyste c’est plutôt de concevoir

que ces pensées, apparemment inutiles sont essentielles, comme

“denrées mentales” de la pensée la plus utilitaire, la plus technique,

la plus scientifique. Et je crois que c’est une des grandes folies des

réformes universitaires que de faire, justement, l’impasse sur les

pensées “mythopoïétiques” comme essentielles même, pourrait-on

dire, à la construction scientifique du monde.

Voyez Léonard de Vinci : on voit bien comment ses recherches sur la

physique des fluides les plus extraordinaires se sont retrouvées dans

les ondulations de la chevelure de la Vierge de l’Annonciation.

Par conséquent, il y a manifestement, pourrait-on dire, une “correspondance”

au sens baudelairien du terme, entre des découvertes

scientifiques et l’acte de création, dans la peinture par exemple. Et

c’est une folie de notre temps que de penser qu’on peut séparer les

choses et que ce qui compte, c’est d’abord la physique des fluides, la

pensée technique, et qu’on ne perçoit pas que l’acte même de peindre

des “Annonciation”, l’acte même de Léonard de Vinci en peinture va

aussi participer à un travail intérieur qui va favoriser ses découvertes

scientifiques, les appareils et les drôles de machines qu’il a pu inventer,

par ailleurs, dans ses aspects les plus techniques et scientifiques.

Roland Gori est psychanalyste, professeur de psychopathologie à

l’Université de Marseille. Il est le fondateur de l’Appel des appels.

www.appeldesappels.org

Les deux textes ci-dessous, de Marie-José Mondzain et Roland Gori, sont la transcription de larges extraits

des entretiens vidéo réalisés par Samuel Wahl, à l’occasion de la soirée IMPOSSIBLE ABSENCE, au Théâtre

Gérard-Philipe de Saint-Denis, le 31 mai dernier, à l’initiative de la revue Cassandre. On peut en retrouver

l’intégralité sur www.horschamp.org.

Leila Cukierman

Je ne sais plus ce que c'est que "la gauche".

Je n'attends plus rien de "la gauche".

Je doute que "la gauche" attende quoi que ce

soit de moi, de nous. "La gauche" nous ignore

superbement en ce que "la politique" nous

ignore. Nous, je veux dire nous citoyens.

Ce qui est un comble si l'on veut bien

considérer que "politique" signifie les

affaires de la cité.

L'idéologie de l'efficacité, de la rentabilité

comptable quantitative domine toute

activité humaine.

"La gauche" gestionnaire s'est mise au pas

de cette domination, tout comme l'institution

culturelle gestionnaire.

J'ai besoin de rêver qu'on arrêtera les flux

de pétrole s'échouant dans le Bayou, non

parce que le marché perd du pétrole mais

parce que le Bayou hante mon imaginaire.

Il n'y a de politique que des idées donc des

cultures, des arts, de la recherche; il n'y a

de culturel que des idées, des arts, de la

pensée, de la politique.

Les arts, la pensée, la politique, loin de tout

utilitarisme personnel ou économique, sont

nécessaires à l'humanité, la communauté

des hommes pour se fabriquer du projet,

de l'échange. J'espère de "la gauche"

qu'elle attende de nous une invitation à

imaginer ensemble comment combattre

l'idéologie dominante du capital, de la

finance globale, et du marché.

Leila Cukierman

est directrice du Théâtre Antoine-Vitez

Marie-José Mondzain

Interpeller les politiques sur la question de la culture, c’est non

pas demander aux politiques d’avoir une meilleure politique culturelle,

c’est rappeler aux politiques qu’ils ne pourront exister en

tant que tels, en tant que “politiques”, que s’ils accompagnent

positivement tout ce qui concerne la culture. Je veux dire que je

fais de la culture, non pas un enjeu qui dépendrait des choix politiques,

mais une condition de possibilité de la vie politique ellemême.

Il est vrai que, comme nous sommes dominés par un pouvoir

qui menace profondément la culture, on a tendance à exiger

de ce pouvoir-là, qui semble être un pouvoir politique, de mieux

traiter la culture, d’avoir une meilleure “politique culturelle”. Or

c’est faire une erreur sur ce qui se passe véritablement : la

domination que nous subissons aujourd’hui est précisément

engagée dans un processus d’effondrement et d’effacement de

la vie politique, et d’effacement de ses conditions. Si ces attaques

sont intentionnellement dirigées contre la culture, c’est

pour mieux entamer la vie politique, pour y substituer les seuls

enjeux du pouvoir, de la domination, du calcul et du profit capitaliste

sur toutes les activités. Dans les textes qui régissent la

mondialisation (…), tout ce qui concerne l’éducation et la vie culturelle

et artistique a été réduit à un “service commercial”, à une

marchandise qui va circuler selon les mêmes règles de concurrence,

de profit et de mercantilisation que n’importe quelle

autre marchandise (c’est valable aussi pour la santé, la justice

et l’environnement, mais là nous parlons de culture) : cela s’est

fait lors des accords de l’AGCS et bien avant, en réduisant tout geste

de culture et d’éducation (…). Défendre la culture, ce n’est pas lutter

contre une “politique culturelle”, c’est lutter contre l’effondrement

du politique.

Pourquoi la culture est-elle condition de la vie politique ? Parce

qu’elle est la condition même du débat, de la circulation de la

parole, de la circulation des opinions, des jugements. Elle est

ce qui règle la vie des conflits. Elle est ce qui donne sa chance

à la création, à l’invention, donc au changement. Il ne peut y

avoir de vie politique que si nos forces de transformation sont

non seulement indemnes et sauves, mais vivantes et radicalement

soutenues sur le plan financier bien sûr, parce qu’un

budget détermine les possibilités d’agir des artistes, des penseurs,

des professeurs…, mais aussi pour faire vraiment geste

politique de leur pratique de création ou d’enseignement.

Ce sont donc des choix budgétaires. Mais ces choix budgétaires doivent

être issus non pas d’une décision financière, mais de choix politiques.

Ces choix politiques sont des choix de société, des choix de vie,

des choix par lesquels se déterminent ou non l’égalité et la liberté de

tous les acteurs. C’est-à-dire de tous, au même titre, avec les mêmes

droits. Défendre la culture c’est donc défendre les conditions même

de possibilité d’accès à la citoyenneté, à la liberté, à l’égalité, à travers

les gestes de la pensée et de la création.

Marie-José Mondzain est philosophe,

directrice de recherche au CNRS.

Alain Hayot

C’est au démantèlement des politiques publiques de la culture que le

pouvoir sarkozyste se livre. Il procède à la mise à mort de ce service

public original que notre pays a construit pas à pas depuis la

Libération, la création du Ministère en 1959 dont l’action sera relayée

dans les villes et les territoires par les collectivités locales. La droite

aurait-elle abandonné toute ambition culturelle ? Je ne le pense pas.

Le projet culturel sarkozyste se construit sur les ruines du service

public selon trois ordres : l’ordre de l’argent roi et de la marchandisation

généralisée. L’ordre moral autour de l’identité nationale et des valeurs conservatrices.

L’ordre du divertissement-abrutissement, autour de la mise sous tutelle de l’audiovisuel et

du populisme de l’audimat.

Il est décisif d’élargir la résistance à ces agressions contre l’intelligence et l’imaginaire.

Cela concerne tout le monde et pas seulement les actrices et les acteurs culturels qui doivent

impérativement mieux croiser leur action avec celle de l’ensemble du mouvement social. Il

s’agit de montrer l’enjeu politique que représentent l’art et la culture pour tous et

singulièrement pour ceux qui à gauche portent l’ambition d’une transformation émancipatrice

de notre société. Dans quelle société voulons-nous vivre ? C’est dans la réponse à cette

question que peuvent et doivent converger le mouvement culturel et les forces politiques

qui agissent en faveur des politiques publiques de la culture.

Comment retrouver le lien entre création, appropriation populaire et éducation artistique ?

Comment remettre la culture au coeur des enjeux de société et de transformation sociale ?

Comment dépasser toutes les formes de domination et d’aliénation si l’on écarte le

sensible, l’imaginaire et le symbolique ?

Le temps de la résistance ne peut se concevoir aujourd’hui que dans le temps de la rupture

et de la construction d’une alternative à ce monde vermoulu par l’argent, la haine de

l’autre et l’endormissement de la pensée. L’art et la connaissance, la formation et la

recherche, l’action culturelle et l’éducation populaire constituent des enjeux majeurs. Non,

comme le pensent les libéraux de tous bords, pour faire émerger une économie (rentable)

de la culture ou une société (profitable) de la connaissance mais pour construire une

société d’émancipation humaine qui reste à inventer. C’est la responsabilité de la gauche

d’aujourd’hui de renouer avec cette ambition fondamentale.

Alain Hayot est délégué national à la culture du PCF.

Gérard Astor

Ce que l'on peut offrir.

 

Car c'est ainsi sans

doute que l'on pourrait poser la question des

rapports entre les artistes et les politiques, si

l'on veut sortir du déni ou de l'instrumentalisation.

Que devrait donc attendre toute force

politique — et la gauche et en son sein un parti

comme le Parti communiste — de nous, de

moi, de notre expérience, de nos utopies, sinon

que l'on nous permette d'entrer dans le politique

avec ce que nous sommes ? Dans le désir

d'apprendre de nous, en nous ouvrant les voies

qui nous relieraient au peuple dont nous avons

été exclus, ce peuple avec lequel pourtant

nous n'avons cessé d'être en “vibration”.

Entendons ensemble ce qu'écrit le poète

et grand “politique” Mahmoud Darwich

dans La Palestine comme métaphore :

« Le politique, dénué d'approche culturelle

ou d'imaginaire poétique, demeure

de l'ordre du conjoncturel... »

Ce que j'ai tracé depuis trente ans au Théâtre

de Vitry fut rendu possible par l'alliage de ma

connaissance d'un territoire et des problématiques

des écritures avec la rencontre de

vrais politiques : les élus de Vitry, ceux du

Conseil Général du Val-de-Marne puis du

Conseil Régional d'Île-de-France. Cela

donne aujourd'hui le croisement de compagnonnages

lumineux entre des artistes

venus de partout et des populations que

nous avons rassemblées autour d'eux :

Kader Attou, maintenant directeur avec

Gilles Rondot du Centre Chorégraphique

National de La Rochelle, Suzanne Lebeau,

auteure québécoise dont "Le bruit des eaux

qui craquent" a fait son entrée à la Comédie

Française, Lia Rodrigues qui vient de fonder

son Centre d'Arts au coeur de la favella de La

Maré à Rio et d'accepter la commande d'une

recréation du "Sacre du Printemps" au

Théâtre de la Ville, ou encore Nicolas

Hocquenghem qui dirige à présent le Théâtre

de Bligny, Luciano Travaglino qui ouvre tous

les soirs son Théâtre de La Girandole à

Montreuil ou, pour la jeune génération, Cécile

Fraisse et sa compagnie Nagananda…

Des livres, des films, des commentaires retracent

ces aventures mêlées où la dramaturgie

s'étend aux spectateurs ("émancipés" comme

les qualifierait Rancière), les analysent, les

aideront à perdurer, accompagnés de mes

propres textes de théâtre, largement nourris

de ces rapports inédits avec des artistes de

tous bords et des publics, avec d'essais par

lesquels je tente d'ouvrir de nouvelles perspectives

pour comprendre les rapports entre

le théâtre ou la danse et le politique, c'està-

dire nous dans la société dès lors qu'elle

s'organise. Tout cela vous est offert.

C'est le cinéaste Nicolas Klotz qui, dans

un précédent numéro de “Cigale”, inversait

déjà la proposition. Ce que nous attendrions

de la gauche ? Ce qu'elle devrait

prendre de nous ! La gauche ? en fait toute

force politique digne de ce nom-là au

regard des hommes et de l'Histoire, qui

devrait regarder vers nous et nous ouvrir

les chemins que nous avons peut-être et

pour une part déjà dessinés…

Gérard Astor est auteur et directeur du

Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine

H

w

5

Puisque enfin il faut tout se dire, voilà la vérité.

 

J’ai beau être

venu au monde à Boulogne-Billancourt, ma mère, elle, naquit en

Égypte.

À Alexandrie, cette ville où, au moins depuis Bonaparte, cultures,

moeurs, religions, hommes et femmes qui allaient avec, se croisèrent,

se frottèrent et parfois se mêlèrent…

Et où mon grand-père Nessim régnait sur la plus prestigieuse librairie

francophone, la plus belle librairie du monde, la Cité du Livre, parfois

fréquentée, disait-on, par les puissants de la région. Et dont le sous-sol

recelait des trésors, des bandes dessinées, rarissimes en ces lieux,

ainsi qu’une alcôve secrète vouée à des amours fugaces qui l’étaient un

peu moins. Une ville où sous mes yeux incrédules et parisiens, les poules

couraient sur les toits plats des maisons blanches dans le soleil et

où résonnaient les longs sanglots de leurs semblables qui agonisaient

lentement, leur cou tranché pendant le long des seaux et des grandes

bassines sanglantes. Une ville au goût de cuir, de menthe, de cris, de

vert-de-gris, de mélopées, de oud et de tarabokas. Pour aller voir nos

grands-parents, il fallait traverser la mer à bord d’un énorme bateau.

La première fois j’avais sept ans. Cela durait des jours et c’était étonnant.

Comme beaucoup là-bas, ma mère était de langue française, et

elle était partie faire ses études à la Sorbonne. Elle y fit la rencontre fulgurante

d’un poète qui vendait ses livres de porte en porte, de main en

main. C’est ainsi qu’avant qu’ils n’en soient chassés, on allait voir Sarah

et Nessim dans un pays de palmiers, de morceaux de déserts, d’ânes,

de pyramides et d’embouteillages inouïs où nous retrouvions des cousins.

Mes autres grands-parents, français, on ne les voyait pas. La mère

de mon père était morte lorsqu’il était enfant et son père s’était remarié.

Il attendit avec impatience de pouvoir fuir le foyer haï, et à l’adolescence

il se jeta dans les maquis de Haute-Savoie

 

(1)

. Il était jeune pour

l’emploi, à peine plus de quinze ans, sans blague. Son nom de résistant

c’était “bébé”. Il ne reprit plus vraiment contact avec sa famille. Il fallait

donc traverser la mer. C’est une chose bien connue que le français

qu’on parle dans ces régions du monde est magnifique, mais le plus

étonnant, c’est que c’est absolument vrai. Cette langue est alors la trace

infiniment précieuse d’une civilisation imaginaire que l’on protège et

soigne comme une étoffe dont on a un jour hérité. Toute la mémoire

transportée par ce vieux patois raffiné du latin, toute la matière qui la

façonne y résonne dans chaque mot et demeure vive, délicieusement

active, ennoblie, subtilement patinée par le rêve vague et sublime

qu’elle emporte. Oui on roulait un peu les “r” dans ce français, mais on

maniait avec distance et précaution cette langue que l’on savait chargée

d’ombres, d’histoire et de lumière. Une langue très délicate, fragile et

douce et forte, intime et familière comme le vieux parchemin dont on

découvre qu’il parle d’aujourd’hui. Une langue qui fait appel à cette

chose qu’on nommait l’esprit, dont chaque mot s’ouvre comme un livre,

si précieuse qu’on n’était jamais sûr de la mériter tout à fait. Cette langue,

la sienne, on l’entend alors comme une langue étrangère et on

l’aime d’autant plus, on apprend à l’entendre autrement, de loin, et l’on

se prend à ressentir qu’une part de soi aussi est étrangère. Cette extranéité,

on le devine, appartient à notre culture. C’est le fleuve, cette langue,

où comme dans les vagues du Nil roule le limon de notre histoire,

une étoffe taillée sur mesure, pour les amants, pour les aventuriers de

l’écriture, une langue savante, simple, complexe, un peu tordue, propice

à cette ironie ambigüe dont raffola Voltaire et plus tard Cioran et qui fait

sans arrêt du roman malgré elle. Une langue qui donne envie d’essayer

d’être (ou de paraître) intelligent, sinon subtil, pour se sentir à sa

hauteur. C’est comme cela qu’on parlait le français là-bas. Et les plus

simples appartenaient à l’élite du monde. C’est comme ça que l’on

parla longtemps le français de la cour d’Angleterre à Saint-

Petersbourg, mais c’est comme ça, aussi, que, souvent et encore

aujourd’hui, on parle et on aime le français en Afrique ou dans les îles.

C’est comme ça qu’on le parlait à Alexandrie.

C’est que cette langue est celle d’un rêve. D’un rêve. Un chemin qui

nous est devenu commun.

Un rêve d’humanité qui des Lumières à la Commune, de tout cela dont

ils eurent très souvent l’écho de loin, de cela qui n’a sans doute jamais

été vécu comme on le croit, nulle part, oui, par définition, car c’est un

rêve, et qui a pu finir en cauchemar, de tout cela ne cesse de parler.

Mais c’est précisément cela, cette latitude, cette aptitude au rêve sans

aucune garantie de rien, sans aucune sécurité, qui est le propre de

l’humanité, c’est cela qui en fait le prix, c’est exactement cela que la

somptueuse culture qui est la nôtre a minutieusement tressé au fil des

paradoxes de l’histoire. Un outil pour la pensée et l’âme, pour ce que

d’utilitaires crétins utiles croient inutile, le véhicule des symboles les

plus élevés de ce que pourrait bien être l’Homme. Fraternité. Égalité.

Liberté. Pourront-il revivre ailleurs, ces mots français qui sont de

moins en moins de France.

Et c’est pour cela, c’est une des raisons pour lesquelles, du point de

vue du rapport à l’autre, du point de vue de la mise en chiffres forcée

de toutes choses (jusqu’à ce qui fait de nous des êtres humains, notre

capacité à symboliser le monde)

 

(2)

, du point de vue de la catastrophique

perte d’humanité, du point de vue de notre refus absolu d’être

transformés en machines, en producteurs-consommateurs, en spectateurs

de la vie à qui il est interdit d’inventer, du point de vue de notre

amour insensé de l’inconnu qui nous est familier sans qu’on sache

comment, du point de vue du combat inévitable à mener contre l’érosion

progressive de ce merveilleux patrimoine symbolique, cet incomparable

trésor menacé par le sinistre globish des épiciers mondialisés,

c’est pour cela, entre autres, que la terrible agression que nous subissons

de la part des réducteurs de têtes ultralibéraux inspirés par

Reagan et Bush, ces barbares incultes qui ont pris pied en Europe et

veulent vider les hommes de leur substance, est totalement insupportable.

Et c’est pour cela que la France sera, oui, devra être, inéluctablement,

le puissant fer de lance d’une résistance farouche à ce fléau, aux troupes

de l’ignorance, de la bêtise en marche. Et c’est pour cela, je le

pense, qu’il faut se révolter sans attendre. Par tous moyens, avec

finesse et puissance, partout et sans relâche. Et porter haut ce secret

caché dans les plis de la langue et de la mémoire précieuse qui nous

fut transmise, ce secret gravé dans notre coeur qui a le pouvoir de nous

rappeler — comme un cheval galope, un lion rugit, un poisson nage —

ce que nous sommes et que l'esprit est au-dessus de tout. Ce secret

qui dit ce qu'un homme doit être et ne doit jamais perdre et qui tient en

trois mots. Un homme rêve

 

(3)

.”

Nicolas Roméas

est directeur de Cassandre/Horschamp

Un homme rêve

 

À ma mère

(1) Aujourd’hui il y a en Haute-Savoie,

des hommes debout, de

toutes générations, depuis les anciens

résistants jusqu’à ceux, très jeunes,

qui reprennent le flambeau d’une

résistance qui n’appartient pas

seulement à l’histoire mais qui doit se

faire au présent. Ils s’appellent

Citoyens Résistants d’Hier et

d’Aujourd’hui. Walter Bassan,

Raymond Aubrac, Gilles Perret, Serge

Portelli, Didier Magnin, Stéphane

Hessel, François Ruffin, Léon Landini,

pour ne citer qu’eux. Chaque année

ils se retrouvent au plateau des Glières

et ceux qui les y accompagnent sont

de plus en plus nombreux. Il faut

absolument voir et faire connaître

l’important film de Gilles Perret

Walter, retour en résistance.

www.walterretourenresistance.com

www.citoyens-resistants.fr

(2) Si ça n’est pas encore fait il faut

absolument que vous vous intéressiez à

l’immense travail accompli par les

membres de l’Appel des appels sous la

houlette de Roland Gori, psychanalyste

et professeur d’université qui travaille

à montrer l’inanité des méthodes

d’évaluation standardisantes made in

USA qui sont aujourd’hui imposées en

Europe dans le domaine notamment de

la santé psychique et de l’éducation.

www.appeldesappels.org

(3) Ça, c’est pour le symbole,

maintenant il va falloir des outils pour

se battre. Il va falloir d’urgence trouver

des alliances politiques pour lutter

contre la déshumanisation à laquelle

nous faisons face. Ceux qui veulent

nous représenter, ceux qui assument

cette immense responsabilité d’être

nos représentants politiques, doivent

comprendre que la question aujourd’hui

la plus importante, c’est celle de la

culture, de l’art et de tout ce que

j’appellerais l’univers symbolique.

Il faut absolument que les politiques se

réveillent, car sans eux nous ne

pourrons rien faire et nous irons

inéluctablement au désastre.

La question de l’art et de la culture est

aujourd’hui au moins aussi essentielle

que celle de la protection de la planète,

c’est pour cela que nous avons lancé

l’appel “Impossible absence”. C’est

pour ça que nous avons organisé une

soirée d’alerte le 31 mai au Théâtre

Gérard-Philipe de Saint-Denis. Et nous

allons continuer ce combat vital avec

tous ceux qui ont compris l’importance

des enjeux. Voulons-nous sauver la planète

pour qu’elle soit finalement peuplée

de robots à l’apparence humaine ?

Nous en sommes au stade où René

Dumont se trouvait il y a une trentaine

d’années, lorsqu’il prêchait dans le

désert. Il a fallu attendre d’être au bord

du gouffre. Aujourd’hui, personne ne

peut nier l’importance des enjeux

écologiques, même ceux pour qui ce

sont des mots vides de sens et qui en

réalité n’en ont rien à faire, car ils ne

voient pas plus loin que le bout de leur

existence. Allons-nous attendre le

moment où nous serons sur le point de

perdre notre humanité pour prendre

conscience des enjeux que portent les

outils de la construction de l’humain ?

Ces outils, on les nomme art, culture,

connaissance. C’est l’univers du symbolique.

C’est ce qui nous permet d’avoir

un imaginaire sans perdre pieds. Et cet

univers s’oppose absolument à celui du

chiffre et de la quantité. Et chaque fois

que nous acceptons de traduire le

symbole par du chiffre ou de la

quantité, nous détruisons un peu plus

le symbole. Je développe ce sujet dans

le numéro 82 deCassandre/Horschamp,

magnifique revue art/culture/société à

laquelle je ne saurais trop vous

conseiller de vous abonner.

www.horschamp.org

 

Bernard Bloch

Depuis plus de deux ans, je travaille sur

l’adaptation d’un texte d’Imre Kertész,

Le chercheur de traces. Je ne pense qu’à

ça. Il se trouve que le dernier livre de

Kertesz paru en français s’appelle

L’Holocauste comme culture. Ce n’est pas un

titre très vendeur, mais il est fondamental.

Imre Kertész a été déporté à Auschwitz

puis à Buchenwald à l’âge de 14 ans.

Libéré, il a décidé de rentrer en Hongrie

plutôt qu’aux États-Unis. Membre du parti

communiste dans l’immédiate aprèsguerre,

il a rompu avec lui peu après et a

pourtant choisi de rester. Il a choisi de se

confronter à ce qu’il appelle sa douleur,

parce qu’il avait besoin de cette douleur, de

ce deuxième totalitarisme, pour ne pas

s’enfoncer dans le ressentiment.

Toute l’oeuvre de Kertész tient en ceci : la

Shoah et son avatar pervers, le Goulag

(à moins que ce ne soit l’inverse), ont marqué

une rupture définitive dans l’histoire de la civilisation

occidentale. À partir de ce moment-là,

son fondement même, construit depuis la

philosophie grecque et l’invention du monothéisme,

est définitivement caduc. Il s’agit de

refonder une culture, une mythologie, non pas

en considérant ces événements comme une

parenthèse, des “crimes contre l’humanité “

mais comme des crimes de l’humanité contre

elle-même, de la culture contre elle-même.

C’est d’ailleurs ce qui a fondé le programme

du Conseil National de la

Résistance. D’où vient en effet le concept

de démocratisation culturelle, sinon de

l’analyse de ce qui a produit le nazisme ?

N’oublions pas cela : la destruction systématique

des acquis culturels de la

Résistance qui est à l’oeuvre est le signe de

l’oubli de la raison pour laquelle on a pensé

la démocratisation culturelle.

« La mort : — disait le psychanalyste

Lucien Israël —, y penser toujours, mais ne

jamais organiser sa vie en fonction d’elle ».

Refonder une culture à partir de

l’Holocauste, signifie qu’il ne faut certes pas

l’oublier, mais qu’il faut à tout prix éviter de

s’y vautrer, de succomber à la sidération. Il

s’agit de penser à la lumière de ce sombre

événement ; et pour Kertész, la seule

manière de faire, d’en faire quelque chose,

de donner du sens à la survie, c’est la fiction,

la poésie, l’art.

Pendant les quelques semaines qui ont

suivi la libération par les Américains du

camp de Buchenwald, Jorge Semprun et

Imre Kertész, sans se connaître, ont vécu

les mêmes évènements et en tirent la même

conclusion. Ils se posent cette question :

comment allons nous raconter ? Et ils

disent que la seule manière de se rendre

audibles ne pourra passer que par l’art, la

fiction, l’artifice. Le documentaire et le

témoignage à eux seuls n’y suffiront pas.

Imre Kertész s’est reconstruit en devenant

écrivain. C’est par l’écriture qu’il a donné

un sens à sa survie.

Pour en revenir à nous, ici et maintenant, je

dirai que les pratiques artistiques, qu’elles

soient “amateures” ou “professionnelles”

doivent s’interpénétrer incomparablement

plus qu’elles ne le font. De quoi s’agit-il ?

Pour nous, professionnels, il ne s’agit pas

de surplomber ceux qui nous écoutent, de

nous contenter de leur donner la chance de

recevoir les magnifiques oeuvres de

l’Esprit, mais de leur donner envie d’être

eux-mêmes, un peu, artistes. Ils ne viendront

plus à nous simplement pour

consommer une oeuvre d’art, mais pour la

vivre. Parce qu’ils sauront comment elle se

fabrique, parce qu’ils en fabriqueront euxmêmes.

Et nous, professionnels, ne nous

satisferons plus de pratiquer notre art devant

un public déjà prêt à le recevoir, mais nous

nous frotterons à ceux qui “n’y connaissent

rien” et c’est cela, justement, qui nous

ouvrira aux voies nouvelles de la création.

L’art, ça sauve la vie. Non pas que ça sauve

de la mort, hélas, mais ça donne du sens à

la vie. L’art, c’est ce qui évite à la vie de

n’être qu’une survie.

Bernard Bloch est metteur en scène et

comédien. Il dirige la compagnie

Le Réseau, au sein de la coopérative Cap

Étoile, à Montreuil-sous-Bois (93).

Claude Michel

On a trop souvent tendance, y compris quelquefois

dans les milieux progressistes, à mettre

sur le même plan la critique que l’on fait

des politiques publiques, du rôle de l’Etat dans

la culture, avec celle du rôle du marché

comme facteur d’uniformisation culturelle et

de nivellement. Or, il me semble que si l’on

doit en permanence interroger les politiques

publiques, on se trompe fondamentalement

de cible et l’on peut même faire le jeu de nos

adversaires, si on ne voit pas que nous vivons

un temps où le démantèlement de “l’État

culturel” comme celui de “l’État social” sont à

l’ordre du jour et marchent du même pas.

Les politiques publiques, au plan national

comme régional et local, c’est ce qui

permet aux cultures d’exister, à la création de se

déployer sous des formes multiples, de

résister au rouleau compresseur du marché ;

nous devons poursuivre cette résistance

si l’on veut que le monde de demain soit

plus riche de la diversité des cultures sur

toute la planète.

Au sein du mouvement des coalitions pour

la diversité culturelle, nous menons un

combat pour l’exception culturelle : c’est

une bataille difficile… Nous avons voulu la

Convention de l’UNESCO sur la protection et

la promotion de la diversité des expressions

culturelles qui contient des dispositions très

pertinentes. Nous l’aurions souhaitée plus

contraignante face au droit international

dominant de l’OMC. Mais cette Convention

a le mérite d’exister, à nous de nous en

emparer. Or les progressistes du monde ne

s’en emparent pas suffisamment.

Nous vivons un épisode nouveau ces derniers

mois : l’Europe, avec sa Directive Générale

“commerce”, multiplie des accords de

libre-échange avec de nombreux pays

(Corée, Canada, Viêt-nam...) qui intègrent

des protocoles de coopération culturelle.

On mélange culture et commerce dans un

marchandage généralisé. Notre action,

celle des coalitions, a eu un effet positif sur

cette stratégie européenne : on a réussi à

faire reculer au moins en partie la

Commission européenne qui semble vouloir

maintenant séparer les accords commerciaux

des protocoles de coopération

culturelle. Sur ces enjeux, il s’agit d’élargir

le cercle des connaisseurs. Tout cela n’est

pas technique, mais politique.

Aujourd’hui il s’agit d’insister sur deux aspects

en même temps : le combat pour l’exception

culturelle est toujours d’actualité et il a pris la

forme plus récemment d’un combat pour la

diversité culturelle, pour la construction d’un

Droit international culturel…

Partout, les enjeux culturels sont sous-estimés,

y compris dans les milieux progressistes.

On l’a vu, par exemple, lors des premiers

épisodes du Forum Social Mondial en 2001,

2002 puis suite à nos pressions et à celles

d’autres, ces enjeux ont ensuite été pris

en compte en 2003 puis en 2005. Mais ce

combat doit en permanence être poursuivi

et renouvelé…

Prenons garde à certains discours de la

modernité qui peuvent dissimuler des projets

régressifs : On est vieux quand on est

pour la modernité réactionnaire…

Claude Michel est secrétaire généraladjoint

de la CGT spectacle, et

trésorier de la Coalition française pour

la diversité culturelle.

Diane Scott

En résidence critique pendant le festival

d’Avignon 2009, Diane Scott a écrit un petit

essai qui, à partir de la réalité des spectacles,

aborde la question de la culture et du

fonctionnement du théâtre public. Elle a

bien voulu nous en confier un extrait.

« Il nous faut éclaircir le rapport entre théâtre,

communauté et culture. Le théâtre est de

tous les arts celui qui fait le plus fond sur le

politique, mais qu’est-ce à dire ? Il y a bien là

le risque d’une articulation mortifère entre

ces trois termes. Il n’y a pas de communauté

idéale, harmonieuse, dans une communion

organique avec elle-même, comme le film

Avatar en rêve (James Cameron, 2009). «

Jusqu’à nous, l’histoire aura été pensée sur

fond de communauté perdue et à retrouver

ou à reconstituer », dit Jean-Luc Nancy.

Autrement dit, pour copier une formule psychanalytique

sur la jouissance primordiale,

on pourrait dire que la communauté, c’est ce

qui n’existe que d’avoir été perdu . La communauté

du monde imaginaire d’Avatar est

cette société parfaite, sans classes, sans violence,

sans travail. Or n’avons-nous pas

affaire aujourd’hui dans le théâtre, confusément,

à ce fantasme de la communauté primordiale

idéalisée, qui point peut-être en

partie dans les difficultés que j’ai avec l’exercice

festivalier en cette fin de mois de juillet,

mais dont les pratiques actuelles n’en sont

pas quittes pour autant ?

Cela revient à poser comme centrale la

notion d’identification. L’identification serait

le plaisir faible du théâtre, son mode le plus

médiocre de relation possible, elle correspond

à l’idée que le groupe se constitue sur

la base du semblable, qu’on n’aime que ce

qui nous ressemble et c’est finalement faire

fond sur le possible de la communauté

comme tout. N’est-ce pas ce que résume de

façon exemplaire le nouveau slogan commercial

« France Télévision nous ressemble,

France Télévision nous rassemble » ?

Introduire l’idée que le rapport au théâtre

puisse en passer par d’autres types de relations

que la reconnaissance de soi, de ce que l’on

pense que l’on est, engage une tout autre

pensée de la société, qui ne s’imagine plus,

dans la métonymie du peuple que la salle de

théâtre représente, comme une totalité fusionnant

avec elle-même dans une communion

idéale, mais pose le groupe comme chose

ouverte, constituable, dynamique, pour ainsi

dire vivante. J’ai conscience que cette définition

est trop lâche, elle est temporaire. Dans cette

perspective la fonction dévolue à la culture

n’est plus, ni de produire des objets où le tout

de la communauté se mire sans défaut (fantasme

d’une unité ethnique de la Nation où la

culture est au pas), ni de produire une multiplicité

d’objets à même de répondre aux besoins

compensatoires de chaque groupe identifié

comme autant de tranches de clientèles

dans une étude marketing (la culture comme

marché segmenté, où il faut mettre les tétines

dans les becs adéquats), mais sa fonction est

de permettre l’art et la pensée. »

Diane Scott, Carnet critique, Avignon

2009, L’Harmattan, L’art en bref,

p. 103-105.

Les 8 & 9 janvier dernier, se tenait à l’initiative du collectif culture du PCF une rencontre nationale

« Art, culture, émancipation ». On en retrouvera le verbatim sur www.pcf.fr/

Bernard Bloch et Claude Michel ont bien voulu réécrire, pour Cigale, leur intervention.

Euryale Collet-Barquero

J’ai croisé un rêve de gauche et on a discuté.

J’ai pu enfin lui dire ce qui me tracassait.

« Il fut un temps où vous vouliez changer la vie.

Changer. Pas améliorer.

Vous n’aviez pas besoin d’être rouge foncé pour avoir cette

prétention.

Parce que j’ai une mémoire et que j’ai envie d’avenir,

je voudrais que l’on se considère.

Je voudrais qu’on se murmure des choses au creux de notre

république.

Elle et nous, on a besoin de vous. Plus que jamais.

Le mandat que je voudrais vous voir porter ?

Celui de bouleverser les choses et de soutenir tout ce qui

peut le faire.

Parce que lorsqu’on veut changer le monde, il faut du soutien.

Et l’art est un des premiers admirateurs du mieux. Non ?

L’art, donc. Celui qui nettoie nos regards. Celui qui élève.

Celui qui sort des castes pour regarder le monde.

L’humanité est cachée derrière, je le crois.

Vous pourriez faire que créer du sens soit un rôle primordial.

Cela passe par la reconnaissance de l’Artiste. Évidemment.

Considérer que sa nourriture est aussi parfois absolument terrestre.

Que la réflexion a soif de temps et qu’elle le mérite bien.

On pourrait parler ensemble des moyens que l’on se donnera

pour imbriquer l’art au quotidien du citoyen.

Un art populaire. Oui.

À qui vous accorderiez la qualité, l’envie et la durée.

Un art vers qui on pourrait se tourner pour s’interroger

et parfois répondre.

Voilà une belle folie. Non ?

Parce que parfois je me surprends à croire que la diversité

est un trésor,

que la règle n’est pas forcément à respecter,

que le progrès est plus haut que le seul divertissement,

et que la liberté de penser passe par la liberté de créer.

Oui, c’est un beau projet. Un projet de société.

Il demande courage et utopie.

C’est généralement le mélange idéal pour progresser.

Non ?

Si.

Je crois même que c’est vous, la gauche, qui me l’avez appris. »

Euryale Collet-Barquero est

auteure-associée à la compagnie Nue comme l’OEl

www.compagnienuecommeloeil.hautetfort.com

(1) Christian Bourgois éditeur, 1990, p. 29.

(2) « Tous les objets dérivent de la perte, ils n’en sont

que les succédanés, les représentants fantasmatiques.

Et ce, depuis la Jouissance, la Grande

Jouissance initiale et mythique, jusqu’aux petites

jouissances, jusqu’à des objets qui provoquent le

désir et le vectorisent » (p.75), d’où « Au commencement

était la jouissance

 

»

, mais la jouissance n’était

pas parce qu’elle n’ex-siste qu’après avoir été perdue

» (p. 102), Braunstein, Nestor A., La jouissance, un

concept lacanien, ERES, 2005.

Virginie Berland

« Que puis-je espérer que la gauche

attende de moi ? » « Puis-je espérer que la

gauche entende quelque chose de moi ? »

Les partis de gauche se sont pris les pieds

dans le tapis du système économique ultralibéral.

La crise actuelle en montre les limites.

C’est de manière radicale qu’il faut sortir de

cette spirale infernale de la spéculation :

« Il ne suffit pas de changer la société, nous

devons changer le monde en acceptant d’en être

responsables. Nous devons être radicaux »,

dit Edward Bond. Que puis-je espérer, alors

que l’abandon est partout, abandon des

services publics et des acquis sociaux. La

démocratie est bafouée, la parole des

citoyennes et des citoyens n’est pas entendue,

les manifestations sont vaines. Nous

sommes nombreux, en France, en Europe

et dans le monde entier, à penser qu’un

autre monde est possible. Se situer dans le

partage du commun, surveiller, contrôler et

taxer la circulation des capitaux et non des

êtres humains.

Réapproprions-nous l’argent public, notre

argent, et choisissons d’en faire des armes,

non pour opprimer l’autre, mais pour qu’il

sorte de sa condition. Préservons la planète,

prenons soin de notre prolongement,

nourrissons nos enfants d’amour. Mon

espoir est que la gauche n’attende rien de

moi, mais qu’elle fasse avec moi, avec nous.

Virginie Berland est marionnettiste

et plasticienne.

8

H

w

André Benedetto nous a quitté le 14 juillet 2009. Son ami Charles Silvestre lui

rendait hommage le 18 juillet aux Carmes d’Avignon puis le 25 août lors du

final d’Uzeste Musical 2009 (extraits).

Longue vie au Théâtre des Carmes-André Benedetto !

L’Urgent Crier de Benedetto

Charles Silvestre

Depuis près d’un demi-siècle, André Benedetto est resté comme un roc que l’on

retrouve quand le rivage se perd. Un roc, dans la mer démontée, ça sauve ! ça

écorche aussi !

André Benedetto a travaillé, comme un fou, à refaire le monde. Patiemment, chaque

matin, chaque soir, en chaque lieu, chaque continent, un carnet à la main, il

notait, annotait, les secrets de l’histoire et de ses contemporains. De Paul Riquet

qui fit circuler l’eau du Canal du Midi à travers la Montagne noire en la faisant

couler de son sommet vers les deux mers, il tira cette image d’une actualité saisissante

: « De l’obstacle faire le passage ».

Poète d’abord. Urgent Crier, 1966. Texte magnifique à la hauteur du Cri du ferrailleur

de Laurence Ferlinghetti, le beatnik américain. Epuisé depuis longtemps.

Réédité avec soin et amour par Le temps des Cerises et objet de onze soirées, du

15 au 24 juillet, à Avignon, dans son Théâtre des Carmes, avec Bernard Lubat,

Philippe Caubère notamment. Petits miracles de ceux qui croient à l’oeuvre et aux

lendemains qui chantent la poésie !

Le théâtre aussi bien sûr. Plus de cent pièces. Ecrites, jouées. Longue marche de

la conscience.

L’Occitanie. Traversée avec sa baraque de comédiens comme Molière traversait

les contrées. Est-Ouest. Deux mers et trois montagnes. Il avait glissé, mine de

rien, ces mots qui remuaient le couteau dans la plaie : « C’est dur l’humain ». Oui,

c’est dur l’humain, plus dur que le granit, plus dur que l’acier ! Benedetto s’y est

attaqué. De front. Comme un chercheur d’or, il cherchait, lui, la vie, la vraie.

Osons, pour Benedetto, les grands mots : tenue, modestie, rigueur, fierté, orgueil,

honneur, discrétion, pudeur. Face à la course au facile, à la complaisance,

à l’intérêt, cela s’appelle l’audace d’être !

Charles Silvestre est secrétaire national des Amis de l’Humanité.

Élise Chatauret

Je suis de celles et ceux qui travaillent sur un territoire et qui se soucient des

personnes qui y vivent. Je travaille notamment avec des adolescents aux histoires

souvent complexes, et, ensemble, nous réhabilitons un espace pour le rêve.

Ensemble, avec une équipe, des artistes professionnels, des scénographes, des

musiciens. De ce travail avec les habitants naissent des formes, des écritures.

Nous cherchons des articulations entre ce public que nous rencontrons et ce que

nous avons à dire, nous, avec ou sans eux mais d’eux, de nous, ensemble. Je ne

vois pas de frontières entre mon travail d’artiste et ce travail dit de terrain. Pour

moi, pour nous, c’est une seule et même chose. C’est la recherche de création

d’un monde commun, changer la vie un peu, beaucoup parfois.

Nous n’avons aucune certitude, pas de solution, pas de produit parfait, ce sont

toujours des tentatives. Ce que je sais, c’est que cet espace, ces espaces que

nous créons nous permettent de respirer mieux, de transformer les cités qui

nous entourent, la violence, la colère. Notre travail ressemble à celui, silencieux,

des fourmis. Notre métier n’est pas de produire des pièces avec tête d’affiche ou

qui rempliront les salles, mais bien de travailler au mystère, à l’intime, à la

question de l’être ensemble, d’articuler le chaos pour le rendre audible.

Rien de tout cela n’est quantifiable, n’entre dans une seule case, rien de tout

cela n’est rentable, ni en période électorale, ni dans les autres. Tout cela

permet juste de mettre un horizon aux fenêtres des barres d’immeubles.

J’aimerai que la gauche nous fasse le respectable affront de nous demander

l’impossible : faire notre métier, c’est-à-dire ne jamais cesser de réinventer

ce monde qui en a tant besoin.

Élise Chatauret est comédienne et metteur en scène. Sa compagnie

Eltho est en résidence au Centre culturel Jean-Houdremont

à La Courneuve.

Rencontres du PCF

au Festival d’Avignon

• Mercredi 14 juillet à 16 h 30

Cour Saint-Louis

Salle de l’ISTS – 1

 

er

étage

LA GAUCHE FACE À L’ENJEU CULTUREL :

Quelle pensée, quel projet ?

Comment remettre le sensible,

l’imaginaire, le symbolique au coeur des enjeux

politiques de la transformation sociale ?

Débat public à l’initiative du PCF,

en partenariat avec la revue Cassandre

Avec la participation de Pierre Laurent et

de représentants nationaux de l’ensemble

des partis de gauche

•Jeudi 15 juillet 2010 à 10 h 30

Cinéma UTOPIA-Manutention

4 rue des escaliers Sainte-Anne

JAFFA LA MÉCANIQUE DE L’ORANGE

Un film de Eyal Sivan

Projection et débat en partenariat

avec les Amis de l'Huma 84

avec Hassan Zerouky, journaliste à

l'Humanité, un membre de la délégation

palestinienne en France, et Colette George

de l’Union Juive Française pour la Paix

• Lundi 19 juillet à 16 h 30

Chapelle Sainte-Praxède

Rue Félix Gras

ART, CULTURE ET TERRITOIRES

Quels combats, quelles alternatives à la

réforme gouvernementale ?

Les collectivités territoriales portent

l’essentiel de l’engagement public en

matière d’art et de culture. Comment

peuvent-elles poursuivre leur mission ?

Débat public à l’initiative du PCF,

en partenariat avec l’ANECR

(association nationale des élus

communistes et républicains)

• Mardi 20 juillet à 10 h 00

Cinéma UTOPIA-Manutention

4 rue des escaliers Sainte-Anne

HORS LA LOI

Un film de Rachid Bouchareb

Sélection officielle Cannes 2010

Projection et débat en partenariat

avec les Amis de l’Humanité

Débat animé par Charles Silvestre,

avec Gérard Noiriel, historien.

Les photographies de Valérie Evrard qui illustrent

cette publication témoignent du soin apporté à loeuvre

de Françoise Salmon Les nageurs qui orne le fronton

du complexe sportif Béatrice Hess de La Courneuve.

Françoise Salmon est née en 1919 à Paris où elle

réside toujours. Résistante déportée à Auschwitz et

Ravensbrück, elle est notamment l’auteure du monument

à la mémoire des déportés au Père Lachaise.

Cette série de photographies est extraite d’une

“balade” en ligne sur www.topos93.fr, projet photographique

réalisé par Valérie Evrard sur le territoire

de La Courneuve et son patrimoine.

Ce septième numéro de Cigale rassemble les

contributions de sept hommes et sept femmes…

Que chacune et chacun soit chaleureusement

remercié-e !

Mention spéciale à Christophe pour sa vigilance de tous

les instants, à Valérie, Nicolas et Samuel (c’est à dire la

revue Cassandre), pour leur complicité.

Sans oublier Martine Loyau, son talent, sa patience

et sa ténacité.

JJB

Crédits photos : pages 1-6-7 : Valérie Évrard ;

pages 2-8 : droits réservés

Conception graphique : Martine Loyau — 06 07 56 49 67 — martine.loyau@wanadoo.fr

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M
<br /> Si tous les partis politiques avaient fait autant que le PC pour la culture, on pourrait les féliciter...<br /> <br /> <br />
Répondre
C
<br /> "Libre, libertaire, libertin"... et stalinien ?<br /> <br /> <br />
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