Il vaut mieux avancer dans le désordre que piétiner dans l'ordre.

Publié le par Michel Debray

 

Il faudrait pouvoir dire qu'il suffit de mettre en place les recettes institutionnelles classiques pour que peu à peu, mais à coup sûr, s'instaure le règne de l'esprit coopératif.

 

 

 

 

On peut le dire. On doit le dire... Car cela a à voir avec la méthode Coué.

 

Et insister sur le nécessaire matérialisme scolaire cher à Célestin FREINET tant il est vrai que l'installation de pendules, d'une rose des vents ou d'un meuble de rangement vaut infiniment mieux qu'un long discours sur la structuration spatio-temporelle des uns et des autres.

 

Pour passer de l'ordre ennuyeux des nécropoles pédagogiques à la complexité désordonnée de la vie bouillonnante, sans pour autant tomber dans le chaos, il convient de mettre en place des structures que, par commodité, nous nommerons coopératives.

 

Une horloge, une corbeille à papier, un meuble adapté à une fonction, un planning, une photocopieuse sont-ils intrinsèquement coopératifs ? En vérité: non !

 

La coopération naît de la nécessité ou de la contrainte de vivre et de travailler ensemble, et autant que possible, dans un bonheur relatif. On peut décider de cohabiter sans joie, sans projet commun, comme des oeufs dans une boîte. Chacun pour soi et Dieu pour tous !

 

En ce cas, point n'est besoin de structures coopératives. Un bon atelier d'arts plastiques est plus efficace et moins onéreux que dix classes pseudo-polyvalentes où l'on essaiera vaguement de peindre ou de modeler. Certains outils présentent un profil bas d'utilisation. Un pupitre d'écolier sert à lire, écrire, compter, poser son cul, graver son nom, se fabriquer une scoliose. Peu coûteux, il est aussi moins nettement spécialisé qu'un chevalet de peintre ou qu'une paillasse de laboratoire.

 

C'est pourquoi il est utile de créer des lieux spécifiques ouverts à tous : salle audio-visuelle, salle informatique, bibliothèque, médiathèque pédagogique pour les maîtres, etc... L'utilisation rationnelle des outils et des lieux en commun (c'est cela le décloisonnement : des cloisons morales ou physiques qui tombent !) supposent une organisation, laquelle implique la concertation entre les membres de la communauté scolaire.

 

À ce niveau, le chef d'établissement est l'exécutif de cette micro-société. C'est évidemment dans l'exercice du législatif que la coopération trouve à se manifester le plus.Mais les pré-textes (au sens premier) ne sont pas forcément austères et rigoureusement pédagogiques ou didactiques. Préparer le café quotidien, surveiller la récréation, organiser telle sortie, régler des détails de la fête de fin d'année, étudier les catalogues pour fixer les futures commandes de matériel, toutes ces choses triviales contribuent à développer les institutions et l'esprit coopératifs qui s'opposent dans tous les cas à l'appétit de pouvoir des uns et à l'inertie et au renoncement des autres. La question à laquelle il faut réfléchir mais se garder de donner une réponse définitive est la suivante:

 

Qui, dans une classe, un établissement, une entreprise voire un état, impulse la coopération, c'est-à-dire la démocratie ?

 

Il faudrait pouvoir dire qu'il suffit de mettre en place les recettes institutionnelles pour que, au-delà des personnes, se pérennise l'esprit coopératif.

 

Or nous savons tous que ce frêle édifice est fragile, nous connaissons les déviances, les dérives institutionnelles, les cancers subtils et insidieux qui s'installent avec la routine, les mutations infimes dans la trame du quotidien.Nous savons comment ce qui était innovation devient habitude puis réitération imbécile des mêmes gestes. Cela signifie que tout système doit susciter, sécréter ses propres vigilances, ses gardes-fous, pour tout dire, sa conscience.

 

La profération des grands idéaux n'est rien. Le travail organisationnel minutieux, quotidien est inutile s'il n'existe un contrôle permanent des finalités de la coopération. Attendre des membres de la communauté la nécessaire franchise est utopique. Ne compter que sur sa propre vigilance et sa "grande âme" est présomptueux. Le système doit instituer sa Cour Suprême, son Conseil des Anciens, sa Cour des Comptes, son Comité des Sages, son Maître du Temps et son Satrape des saintes colères, son Conservateur du Non-dit et son Ordonnateur des émotions. Non pas avec la gravité creuse qui sied aux sectes pontifiantes mais à la manière des jeux de rôles dont se délectent les enfants.

 

 

 

 

  

 

Michel DEBRAY, pour Animation & Éducation- O.C.C.E. - (Office central de la Coopération à l'école)

n° 102 - Mai-Juin 1991

 

 

 

http://unipop.pic.free.fr/POURLECOLE/100PRINCIPES/index.htm

 

  

 

Célestin Freinet et ses élèves

 

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